" Je l'ai connu chez Jean Nohain, dont je fus à mes débuts - ça ne me rajeunit guère - le cinquième assistant. Fernand était déjà une énorme vedette. Il avait conquis sa popularité en créant un personnage de monsieur tout-le-monde, mal habillé ("Y a comme un défaut") qui, avec une diction hésitante, narrait toutes les mauvaises surprises de sa vie quotidienne.
Au cinéma, il n'avait pas accroché. Mais sur scène, il était imbattable et rien que ses mimiques mettaient en joie un public dont il ne tolérait pas la moindre baisse d'attention. S'il entendait une réflexion ou un froissement d'un papier de bonbon, s'il voyait des amoureux se bécoter, il s'arrêtait net et prenait méchamment les coupables à partie.
Entre deux sketches, il passait en coulisse boire une rasade de ce vin blanc qui, avec l'habitude, était devenu l'indispensable carburant de son moteur artistique.
Nous étions assez amis pour qu'un soir d'été sur la Côte d'Azur, où nous avions diné ensemble avec nos épouses respectives, il nous propose, pour nous épargner le train, de nous assurer une liaison rapide de la promenade des Anglais à la Croisette. Rapide : le mot est faible...
Au volant d'une puissante voiture, Fernand conduisait comme on se suicide. Observant en connaisseur dans le rétroviseur la panique de ses passagers morts de peur sur la banquette arrière, il prenait tous les risques.
A l'époque l'autoroute n'existait pas entre Nice et Cannes. Et sur la nationale 7, la voie était souvent unique. Fernand se souciait de la signalisation et du code de la route comme d'une guigne. Il doublait en haut des côtes, mordait furieusement sur la ligne jaune, multipliait les queues de poisson. Il ressentait chaque débordement comme un exploit, injuriant les automobilistes qui le précédaient, aveuglant ceux qui roulaient dans le sens inverse.
Une "promenade" inoubliable. Jamais je n'ai été aussi étonné - même en avion, mode de transport que je déteste - d'arriver intact à destination.
... C'est dire si, quelques années plus tard, j'ai eu un flash-back en apprenant que Fernand venait de se tuer en percutant avec son beau cabriolet blanc le mur d'un cimetière de province ... Sept. 1973.
("Portaits pour la galerie" de Philippe Bouvard)
Note de la "rédaction" : certes, les films de Fernand ne sont pas restés dans les cinémathèques ! Mais il en a quand même tourné quinze (voir article ci-devant) qui ont eu à l'époque un beau succès populaire ; d'ailleurs, lui même ne les trouvaient pas satisfaisants ; dommage que personne ne lui ait proposé, comme ce fut le cas pour Bourvil plus tard, un rôle plus "dramatique".
Je pense qu'il aurait pu aussi émouvoir.....